Enfin, moyennement puisque, pour Hannah Arendt, la solitude permet d’experimenter un dialogue fecond avec nous-memes, le “deux-en-un” de la pensee.
Dans votre extrait de la lecon inaugurale de son seminaire a la New School of Social Research de New York en 1965, la philosophe distingue tous les modes d’etre seul – solitude, esseulement ou isolement. Extraits.
« J’ai solitude implique que, bien que seul, je sois avec quelqu’un (c’est-a-dire moi-meme). Elle signifie que j’suis deux en un, alors que l’isolement ainsi que l’esseulement ne connaissent gui?re votre forme de schisme, votre dichotomie interieure dans laquelle je peux me poser des questions et recevoir une reponse. J’ai solitude et l’activite qui lui correspond, qui est la pensee, peuvent etre interrompues par quelqu’un d’autre qui s’adresse a moi ou, comme toute autre activite, lorsqu’on fait quelque chose d’autre, mais aussi par la simple fatigue. Dans tous ces cas, nos deux que j’etais dans la pensee redeviennent votre. Si quelqu’un s’adresse a moi, je dois maintenant lui parler a lui, ainsi, non plus a moi-meme ; quand je lui cause, je change. Je deviens 1 : j’suis evidemment conscient de moi-meme, mais je ne suis plus pleinement et explicitement en possession de moi-meme. Si une seule personne s’adresse a moi et si, comme ce qui arrive desfois, nous commencons a parler sous forme de dialogue des memes trucs qui preoccupaient l’un d’entre nous tandis qu’il est i nouveau dans la solitude, aussi tout se passe comme si je m’adressais a un autre soi. Et votre nouvelle soi, allos authos, Aristote le definissait a juste titre comme l’ami. Si, d’un nouvelle cote, mon processus de pensee dans la solitude s’arrete Afin de une raison ou une autre, je deviens un aussi. Parce que ce 1 que je suis desormais est sans compagnie, je peux rechercher celle des autres – sous la forme d’individus, de livres, de musique –, ainsi, s’ils me font defaut ou si j’suis incapable d’etablir un contact avec eux, je suis envahi par l’ennui et l’esseulement. Pour ce qui, il n’est gui?re necessaire d’etre seul : je peux m’ennuyer beaucoup et me sentir tres esseule au milieu d’la foule, mais pas dans la vraie solitude, c’est-a-dire en compagnie de moi-meme ou avec mon mari, au sens d’un nouvelle soi. C’est pourquoi Il semble bien plus complexe de supporter d’etre seul au milieu une foule que dans la solitude – tel Maitre Eckhart l’a fait constater.
“Je peux m’ennuyer bon nombre et me sentir tres esseule au milieu d’la foule, mais jamais dans la vraie solitude, c’est-a-dire en compagnie de moi-meme”
Hannah Arendt
Le dernier mode d’etre seul, que j’appelle isolement, apparait quand je ne suis ni avec moi-meme ni en compagnie des autres, mais concerne par des choses de l’univers. L’isolement est en mesure de etre J’ai condition naturelle Afin de l’ensemble de sortes de travaux dans lesquels j’suis si concentre sur votre que je fais que la presence des autres, y compris de moi-meme, ne va que me deranger. Il se peut qu’un tel boulot soit productif, qu’il consiste a fabriquer un objet nouveau, mais votre n’est gui?re necessaire : savoir ou aussi lire simplement 1 livre requiert un certain degre d’isolement ; il faudra etre protege de la presence des telecharger be2 autres. L’isolement va aussi apparaitre comme un phenomene negatif : nos autres avec lesquels je partage un certain probleme pour le monde ont la possibilite de se detourner de moi. Ca arrive frequemment dans la vie politique – c’est le loisir force de l’homme politique ou plutot de l’homme qui, en lui-meme, est citoyen, mais a perdu le contact avec ses concitoyens. L’isolement en ce deuxieme sens ne va se surmonter qu’en se transformant en solitude, et l’ensemble de ceux qui connaissent bien la litterature latine savent comment des Romains, au contraire des Grecs, ont decouvert que la solitude et avec elle la philosophie pouvaient constituer un mode de vie au cours du loisir force qui s’impose si l’on se retire des affaires publiques. Lorsqu’on decouvre la solitude apres avoir mene une vie active en compagnie de ses pairs, on en vient au point auquel Caton disait : “Jamais je ne suis plus actif que quand je ne fais rien, ainsi, jamais je ne suis moins seul que lorsque j’habite avec moi-meme.” On peut encore percevoir dans ces mots, je crois, la surprise qu’eprouve 1 homme actif, qui i l’origine n’etait pas seul et etait loin de ne que dalle faire, face aux delices d’une solitude et a l’activite deux-en-un une pensee. »
Hannah Arendt, « Questions de philosophie morale », in Responsabilite et Jugement (traduit de l’anglais [americain] avec Jean-Luc Fidel, © Editions Payot & Rivages, 2005).